Depuis quelques années, je reçois à l’occasion des téléphones de jeunes ou moins jeunes vétérinaires, souvent des femmes avec une famille ou qui envisagent d’en avoir une, qui réfléchissent à la possibilité de devenir associées et qui recherchent des conseils. Ça me fait toujours plaisir, l’entraide est une de mes valeurs fortes. Les étapes légales et comptables, vous pouvez les trouver partout. Ce sont des autres, tout aussi importantes, dont je veux vous parler. Car lorsqu’on devient propriétaire, c’est un engagement qui dépasse le cadre professionnel.
Devenir propriétaire, c’est un défi. Il faut détenir une grande motivation et de l’énergie à revendre. C’est rarement l’argent, en médecine vétérinaire, qui nous allume. C’est plus souvent un désir de faire les choses à notre façon et généralement, c’est centré sur le bien-être animal. Combien de fois ai-je entendu: « Je ne suis plus capable de faire des euthanasies de convenance » ou « Je ne veux plus faire d’onyx », « Je veux plus de temps avec chaque patient » ou encore « Je veux intégrer la médecine douce ». C’est une belle première étape dans l’entrepreneuriat: vouloir faire les choses autrement.
Il y a cependant une réelle discussion à tenir avec son conjoint et avec sa famille. Parce que oui, il faudrait investir du temps et oui, le téléphone sonnera chez vous le dimanche soir pour toutes sortes de problèmes! Que ce soit la gestion d’employés « Mon chum m’a laissée hier et je n’ai pas d’auto pour rentrer demain », l’immeuble (le toit qui coule, la toilette bouchée), les animaux « J’ai laissé le chat noir de la pension se dégourdir les pattes et ça fait une heure que je le cherche partout sans le trouver! » … Vous ne pourrez pas tout faire et c’est ici que la capacité à s’organiser prend tout son sens. Il faut savoir déléguer. C’est à chacun de faire ses choix: vous ne pourrez pas assister à toutes les activités des enfants, aller les chercher à 16 h 30 à la garderie, faire des gâteaux maison, surveiller les circulaires pour trouver les aubaines, écouter les séries télé et plier le linge, tout en faisant progresser votre entreprise et en gérant votre personnel. Parce que c’est ça de nos jours; les employés, on s’en occupe, on les bichonne, on les stimule, on les fait grandir et ça prend du temps et de l’énergie. Je suis de celles qui pensent qu’il est tout à fait possible d’être heureuses en combinant entrepreneuriat et famille à condition d’être organisées pour que ce soit faisable. Discuter de tout cela avant, avec votre conjoint, avec votre fratrie, etc. La disponibilité qu’exige une entreprise vétérinaire peut mettre à mal, même avec les meilleures volontés de soutien. Discuter finances aussi; vous serez plus serrée quelques années. En effet, il faudra quand même prévoir des frais de gardienne, de femme de ménage ou de tout ce qui vous permettra de passer du temps de qualité avec vos proches quand vous libre. Une saine organisation est le mot d’ordre.
Réfléchissez à la possibilité de vous associer plutôt que de partir à zéro. Cela a été mon choix en raison du fait que ça me permettait de gagner en assurance et en expérience tout en ayant du soutien. Je pense aussi qu’on est toujours plus fort en équipe. Encore là, les discussions franches doivent être à l’honneur. Quel est le rôle de chacun, comment les tâches, l’argent, les vacances sont-ils distribués, etc. Tout cela s’écrit et se notarie. Ma mère me disait que si on se chicane pendant les fiançailles, le mariage a peu de chance de durer. C’est la même chose en affaires : on règle les possibles conflits bien avant que leurs ombres apparaissent.
Un dernier conseil: prévoyez du temps pour les imprévus. Vous en viendrez vite à être épuisée et à voir chaque petite demande comme un irritant. Si vous devenez grognon, les employés auront moins le gout de rester avec vous, le conjoint, perdre l’envie de vous soutenir et les enfants le ressentiront. Vous devez aussi comprendre que vous êtes importante. Choisissez vos priorités et diminuez vos critères. La marmaille se porte très bien, même en achetant des plats cuisinés ailleurs, et l’aide aux devoirs fait toute une différence dans le moral familial. Vos employés sont capables de mener à bien des dizaines de projets sans que vous ayez à les exécuter vous-même. La délégation, c’est comme le reste, ça s’apprend et ça se cultive.
Un mythe veut que seuls les plus extravertis ou les plus confiants puissent se réaliser en affaires ou faire preuve de leadership. Je vous invite à vous départir au plus vite de cette idée saugrenue. La lecture de En avant toutes de Sheryl Sandberg pourrait vous y aider. Pas besoin d’être un D ou un I (type de personnalité) pour se réaliser en affaires. Se fixer des objectifs, mettre l’énergie pour y arriver, savoir s’entourer, travailler en équipe, ne pas penser que nous connaissons tout, se donner les moyens pour réussir, ça n’a rien à voir avec la personnalité assurée ou pas.
Malheureusement, les femmes subissent encore beaucoup de pression et la société est fort exigeante envers elles. Il faudrait tout faire pour être correctes. Moi, je pense qu’il faut faire ce avec quoi on se sent bien. Et pour devenir propriétaire d’un établissement vétérinaire tout en ayant une famille, les chances d’y arriver sont proportionnelles autant à l’énergie mise en organisation qu’au soutien qui sera obtenu. Le reste est une question d’aimer ce qu’on fait et de grandir à travers cela.
Paru dans Le Rapporteur Automne 2017 de l’Association des médecins vétérinaires du Québec