Témoignage ￨ Je suis vétérinaire et voici ma réalité.

Dans les derniers mois, nous avons dû expliquer notre situation à plusieurs reprises. Se justifier à des clients fidèles, à des clients précieux que nous n’avons pas été en mesure de servir lorsque leur animal n’allait pas bien. Dire « non » à quelqu’un est épouvantablement difficile pour les membres dévoués et passionnés de mon équipe. Ne doutez jamais de leur amour pour les animaux et leur travail. Ils sont tous des êtres exceptionnels qui composent une équipe forte. C’est cette dernière qui nous permet de continuer d’offrir des soins de qualité avec le sourire dans le contexte actuel difficile. Voici la vérité à propos des soins vétérinaires présentement au Québec.

Si nous avons déjà dû vous dire non, j’espère que cette réponse vous apaisera et qui sait, peut-être, aidera-t-elle d’autres personnes à comprendre la crise que l’écosystème vétérinaire traverse. On me demande parfois comment une clinique en vient-elle à référer à son plus proche « compétiteurs » ses clients qu’elle considère pourtant si précieux. La réponse: quand devant l’ampleur de la tâche à accomplir on ne perçoit plus un autre établissement comme son compétiteur, mais plutôt comme un endroit où il sera possible d’aider un patient, une famille. Parce que la vérité est dure et triste.

La vérité c’est que nous sommes humaines, tous les jours nous donnons notre 110% pour tous les patients qui nous sont confiés. Nous sommes présentement 2 vétérinaires à travailler à la clinique, alors qu’il faudrait être 5 pour desservir adéquatement la demande locale actuelle. Alors, même en mettant les bouchées doubles, même en sacrifiant nos heures de dîner, même en prenant des urgences souvent avant ou après nos heures de travail prévues, nous n’y arrivons tout simplement pas. Nous avons fait le choix de ne jamais sacrifier la qualité de nos soins au détriment du volume. Toutes les semaines, depuis plus d’un an nous travaillons en sur temps, toutes les semaines. Récemment, nous avons toutes les deux écourté nos vacances de Noël pour limiter le nombre de jours où un seul vétérinaire serait en devoir à la clinique. Nous travaillons de la sorte sans savoir avec certitude quand de l’aide viendra alléger notre quotidien. La vérité c’est que nous avons refusé des clients précieux, aujourd’hui, comme tous les jours depuis bientôt près d’un an et demi. J’en suis consciente parce que nous ne prenons plus de nouveaux clients depuis toute cette période. Mais, nos clients ont adopté de nouveaux animaux et par conséquent cela ne représente pas moins de travail, cela permet simplement de limiter le nombre de fois où nous sommes contraints de dire non à des gens que nous estimons, des gens comme vous. Mais de dire non à des gens dans le besoin qui ne sont pas clients n’est pas pour autant une tâche facile. On y est résigné, contraint parce que si certains d’entre nous tombaient au combat, le nombre d’animaux soignés chaque jour diminuerait encore davantage. Alors on doit garder un rythme de marathonien, visiblement on ne fait pas face à un simple sprint.

La vérité c’est que le COVID est venu accroître la pression sur le milieu, imposant restrictions sanitaires, protocoles, désinfection, changement de procédures, rallongeant les journées, augmentant le taux d’absentéisme… Je ne m’éterniserai pas davantage sur ce sujet, nous sommes tous dans le même bateau quand vient le temps de parler de ce foutu virus.

La vérité c’est que la crise est partout au Québec, la problématique bien réelle, savez-vous que plus de 80% des cliniques n’acceptent plus de nouveaux clients? Que les centres d’urgences n’arrivent plus à offrir un service aussi rapide qu’avant et ont souvent plusieurs heures d’attente pour pouvoir voir un vétérinaire. Que des vétérinaires désirant vendre leur pratique ne trouvent plus preneurs et se retournent vers des mégas compagnies américaines pour vendre l’entreprise qu’ils ont bâtie à la sueur de leur front, retardent leur retraite ou ferment tout simplement leurs portes. Savez-vous qu’il existe une surenchère pour signer les vétérinaires un peu comme on le voit pour le marché immobilier ? Nous cherchons depuis plus de trois ans à combler notre équipe, sans succès. On estime qu’actuellement pour chaque vétérinaire sur le marché du travail il y a environ 10 offres d’emploi. On comprend facilement la difficulté à embaucher. Au Québec il gradue actuellement un peu plus de 80 vétérinaires par année. Vétérinaires exerçant dans tous les domaines que ce soit la recherche, la santé publique, l’inspection des viandes, la médecine des grands animaux, des petits animaux, le domaine pharmaceutique… Une nouvelle faculté de l’Université de Montréal ouvrira prochainement à Rimouski pour former davantage de vétérinaires. Mais les premiers diplômés de cette faculté n’obtiendront pas leur diplôme avant 2028 et je suis optimiste. C’est trop peu, beaucoup trop tard.

La vérité c’est que bien que mes techniciens et mon personnel de soutien accomplissent tous les jours un nombre incalculable de tâches extrêmement variées, ils ne peuvent pas faire le diagnostic, les plans de traitements, les retours d’appels pour expliquer les estimés, réviser les dossiers et ne peuvent pas réaliser les chirurgies si cela s’avérait nécessaire. Le nombre de vétérinaires travaillant à la clinique devient donc un réel enjeu quant au nombre de patients pouvant être vu chaque jour. Après l’analyse de votre histoire au téléphone, si un membre de mon personnel vous recommande de consulter rapidement, voir même dans un autre établissement, sachez que c’est assurément parce qu’il sera humainement impossible de vous recevoir avec le travail déjà prévu.

La vérité c’est qu’en arrivant au travail presque tous les matins nous rajoutons des plages horaires de plus sur nos heures de dîner et parfois après la fin prévue de nos quarts de travail. Ces plages comme celles d’urgences sont données quotidiennement aux premiers clients qui nous appellent le matin à 9h00 à l’ouverture des lignes téléphoniques. Nous sommes désolés de devoir fonctionner comme le font depuis longtemps les cliniques médicales humaines et de devoir créer cette course téléphonique, mais même si nous déplorons ce système, il nous permet une certaine impartialité dans l’octroi des rendez-vous.

La vérité c’est que je ne compte plus les soirs où j’arrive en retard à la garderie le soir pour récupérer mon plus jeune. Que nous écourtons souvent le temps passé avec nos familles, manquons parfois des moments importants pour prendre soin de vos animaux comme si c’était les nôtres, et ce, même quand la clinique est «fermée». Que nous restons de longues heures le soir après la fermeture pour retourner des appels téléphoniques, compléter des dossiers. Notre travail ne s’arrête jamais au moment où vous quittez la clinique. Que vos mercis et vos compliments nous touchent toujours droit au cœur et font toujours plaisir. Que la gestion des plaintes gruge cette énergie vitale si importante pour nous permettre de continuer. Que nous aimerions croire qu’au fil des années nous nous sommes connus, que nous avons construit ce lien important, que cette confiance existe, que cette relation est bien tangible. Que toutes les fois où nous vous avons écouté, aidé, conseillé, que les moments intimes partagés en vous accompagnant vers un dernier repos ou en réalisant une consultation, une chirurgie hors des heures ouvrables comptent vraiment. Que notre passé ensemble ne sera pas remis en question au premier refus de notre part. Nous aimons croire que nous sommes, nous aussi, importants pour vous. Que votre fidélité nous l’avons acquise au fil du temps et qu’elle ne sera pas balayée du revers de la main facilement.

La vérité c’est que malheureusement comme plusieurs de mes collègues, le soir, je me couche souvent avec le goût amer de ne pas encore en avoir fait assez et ce, malgré tous les efforts et les sacrifices que nous faisons pour notre travail, notre équipe, nos clients et nos patients.

La vérité, la seule à retenir en bout de ligne, c’est que vous êtes réellement importants, vos animaux le sont tout autant, mais que nous sommes humains.